Procès Kabila : entre justice, trauma collectif et théâtre politique Tribune de Salem MAPUNA

Le 22 août 2025, la Haute Cour militaire de Kinshasa a vu son parquet requérir la peine de mort contre Joseph Kabila. Ce n’est pas seulement un dossier judiciaire, c’est aussi une épreuve psychologique pour une nation entière.
Le poids du symbole
Pour des millions de Congolais, voir un ancien président accusé de crimes de guerre déclenche une forme de sidération psychologique. C’est comme si l’État se jugeait lui-même, à travers celui qui l’a incarné pendant 18 ans. La mémoire collective est convoquée : massacres, viols, déplacements forcés… autant de blessures enfouies qui remontent à la surface. Mais attention : une mémoire traumatique mal gérée peut rallumer les rancunes au lieu de panser les plaies.
Un procès qui fracture les imaginaires
La psychologie des foules est claire : un procès spectaculaire peut produire deux effets opposés.
Chez les victimes et leurs familles, il peut être vécu comme une reconnaissance tardive, un début de réparation.
Chez les partisans de Kabila, il alimente le sentiment de persécution, la conviction que la justice est instrumentalisée pour humilier un camp politique.
Ce clivage psychologique est dangereux, car il transforme un procès en catalyseur de divisions identitaires et politiques.
L’exagération comme stratégie
Les 24 milliards de dollars réclamés comme dommages-intérêts interrogent aussi sur le plan psychologique. Ce chiffre dépasse le rationnel. Il fonctionne surtout comme un choc symbolique destiné à marquer les esprits. En psychologie sociale, on parle d’effet de disproportion : quand le chiffre est tellement énorme qu’il suscite plus d’émotions que de réflexion.
Le théâtre de l’identité
Enfin, l’argument sur l’identité de Kabila, présenté comme « Hyppolyte Kanambe », révèle une dimension psychopolitique majeure. Il ne s’agit plus seulement de juger un homme, mais de rejouer une vieille peur : celle de « l’étranger infiltré », qui manipulerait le destin du Congo. C’est un mécanisme classique de projection : on attribue les maux d’une nation à une figure supposée extérieure, pour éviter de se confronter à ses propres échecs internes.
Une catharsis nationale ou un trauma renouvelé ?
En définitive, ce procès peut être une catharsis collective – un exutoire permettant au peuple de libérer ses souffrances en tenant un homme responsable. Mais il peut aussi devenir un trauma renouvelé si la perception d’un procès politique domine l’opinion. Dans ce cas, au lieu d’un apaisement, nous aurons une polarisation accrue, une société encore plus fragmentée psychologiquement.
Pour finir, la question n’est pas seulement de savoir si Kabila est coupable ou non. La vraie question est : ce procès aide-t-il le peuple congolais à guérir de ses blessures, ou ne fait-il que rouvrir ses cicatrices ?
Salem Mapuna
Le Politico-Psychologue