Procès Mutamba : Quand la justice convoque le sommet de l’État ( Salem Mapuna )

Le procès de l’ancien ministre de la Justice, Constant Mutamba, connaît une tournure inédite. Après le rejet de toutes ses exceptions par la Cour de cassation, l’audience prévue pour ce mercredi 06 août 2025 promet d’être historique : la Première Ministre Judith Suminwa est attendue à la barre parmi les témoins appelés à comparaître.
En effet, au-delà du seul aspect judiciaire, c’est l’architecture même du pouvoir exécutif qui se voit convoquée devant la nation. Ce procès n’est plus seulement celui d’un ancien ministre soupçonné de détournement ; il devient, en devenir, un véritable examen de conscience institutionnel.
Le contexte : une affaire lourde aux ramifications politiques
Pour rappel, Constant Mutamba est poursuivi pour détournement de plus de 19 millions USD, dans le cadre d’un contrat attribué à la société Zion Construction, censée bâtir un complexe carcéral à Kisangani.
Le 23 juillet, la Cour de cassation avait validé la procédure, ouvrant la voie à l’instruction sur le fond. Puis le 4 août, Mutamba a été entendu longuement sur son rôle et ses décisions. Il a rejeté toute implication personnelle dans les mouvements financiers, préférant évoquer une exécution collective des décisions issues du Conseil des ministres.
Par conséquent, cette ligne de défense place aujourd’hui la Première Ministre sous les projecteurs judiciaires, puisqu’elle devra apporter son éclairage sur la chaîne de décisions validées par l’exécutif.
Une Première Ministre témoin : un précédent inédit
L’audition de Judith Suminwa, en tant que simple témoin, soulève plusieurs implications :
Juridique : jusqu’où s’étend la responsabilité de l’exécutif dans l’avalisation d’un marché aujourd’hui controversé ?
Politique : la convocation d’une Première Ministre en exercice est une première dans l’histoire récente de la RDC, donnant à ce procès une dimension institutionnelle sans précédent.
Médiatique : même si elle n’est pas mise en cause directement, cette convocation lie durablement son image à une affaire de corruption, et expose son leadership à l’analyse populaire.
En effet, cette situation montre que la justice n’hésite plus à frôler le sommes de l’État pour tenter de faire émerger la vérité.
Lecture politico-psychologique : un affrontement de narratifs
Derrière la salle d’audience, se joue un duel narratif redoutable :
D’une part, Mutamba veut se présenter comme une victime politique, un bouc émissaire d’un système dont il n’aurait été qu’un exécutant obéissant. Il compte sur l’audition de la Première Ministre pour appuyer cette version.
D’autre part, le gouvernement devra faire preuve de clarté et de rigueur, sans pour autant s’auto-accuser. Toute maladresse ou ambiguïté dans la posture de Judith Suminwa pourrait être perçue comme un aveu d’imprudence, voire de complicité passive.
En définitive, ce procès devient une bataille de perception : il s’agit de savoir qui gardera la maîtrise de son image et de son récit face à une opinion publique de plus en plus exigeante.
Ce qui est en jeu mercredi
La journée du 6 août pourrait sceller plusieurs éléments essentiels :
_La solidité des preuves présentées par le ministère public,_
_La capacité de Mutamba à déplacer la responsabilité politique vers l’exécutif,
_Et surtout, la résilience d’une justice en devenir, qui cherche à prouver son indépendance face aux figures haut placées._
Par conséquent, ce procès pourrait devenir un symbole, bien au-delà du seul cas Mutamba.
Pour finir : la justice comme miroir
Pour finir, ce procès, engagé pour une affaire de détournement, se mue en miroir de la gouvernance congolaise. Le fait même que la Première Ministre soit appelée à témoigner est un tournant, démontrant que la justice veut se donner les moyens de la transparence.
Mais cela ne suffira pas : il faudra des mots clairs, des responsabilités situées et un récit cohérent. En définitive, ce n’est pas uniquement Mutamba qui est jugé, mais aussi la capacité de l’État congolais à assumer ses erreurs et à y répondre de façon crédible. Car dans ce procès, chaque silence pèse autant que chaque mot, et c’est toute notre culture institutionnelle qui se trouve convoquée à la barre.
Salem MAPUNA Le Politico-Psychologue