Tribune – Uvira, Washington et Pékin : derrière les mouvements militaires, une bataille géo-économique mondiale
La récente prise d’Uvira, survenue dans le sillage de l’accord de Washington négocié sous la médiation américaine, ne peut être comprise en dehors du cadre plus vaste qui redessine aujourd’hui les rapports de force mondiaux. Car derrière les diplomaties souriantes et les discours de paix se cache une réalité brutale : la bataille pour le contrôle des minerais critiques, indispensables à l’économie du XXIᵉ siècle, se joue dans l’Est de la RDC. Et Washington comme Pékin le savent.
Un théâtre local pour une rivalité globale
Depuis une décennie, l’Afrique centrale est devenue l’un des épicentres de la rivalité entre les États-Unis et la Chine. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la RDC concentre plus de 60 % des réserves mondiales de cobalt et détient des quantités stratégiques de lithium, coltan, cuivre et germanium. À l’heure de l’électrification des transports, de la fabrication de semi-conducteurs et des technologies de défense, ces minerais ne sont plus de simples ressources : ce sont des leviers de puissance.
La Chine, anticipant cette mutation depuis longtemps, a verrouillé des pans entiers du secteur minier congolais. Son avance dans le raffinage mondial et son implantation dans les chaînes d’approvisionnement en métaux stratégiques donnent à Pékin une influence quasi hégémonique. C’est précisément ce que Washington cherche à contenir.
L’accord de Washington : diplomatie de paix ou diplomatie des ressources ?
L’implication américaine dans les discussions régionales n’a rien d’innocent. Officiellement, il s’agit de stabiliser l’Est congolais, dont les conflits chroniques entravent le développement. En réalité, cette stabilisation sert un second objectif, plus discret mais tout aussi réel : créer un environnement géopolitique favorable à un rééquilibrage économique, afin que les États-Unis puissent regagner une influence qu’ils jugent indispensable pour leurs industries stratégiques.
La paix, dans ce cadre, devient un outil au service d’une stratégie plus ambitieuse. En soutenant certains alignements diplomatiques ou sécuritaires, Washington cherche à réduire la dépendance de Kinshasa envers Pékin. Ce n’est pas tant “chasser les Chinois” que fragmenter leur domination et ouvrir la voie à des partenariats alternatifs.
Uvira : une pièce logistique dans un jeu qui dépasse la région
Il serait toutefois simpliste de voir dans Uvira un enjeu minier direct. Cette ville n’est pas un gisement, mais un carrefour : une porte d’entrée vers le Sud-Kivu, le Burundi et le lac Tanganyika, et une rampe d’accès vers les zones minières du Katanga. Contrôler Uvira, c’est maîtriser des axes vitaux pour le commerce légal comme illégal, pour les mouvements armés comme pour les flux économiques.
Dans un conflit où les routes valent parfois autant que les mines, l’emprise sur Uvira s’inscrit dans une stratégie d’ensemble : celle de remodeler les circuits logistiques, d’affaiblir certains réseaux, d’en renforcer d’autres, et in fine de redéfinir l’architecture sécuritaire régionale selon des intérêts qui dépassent largement les acteurs locaux.
La bataille des minerais critiques ne fait que commencer
La prise d’Uvira ne saurait donc être interprétée comme un épisode isolé. Elle est un symptôme d’une dynamique plus large : celle où les puissances mondiales utilisent la diplomatie, la pression économique, les alliances locales et parfois même le chaos pour redessiner la carte des influences.
La RDC, malgré elle, devient le champ de bataille d’une confrontation silencieuse mais déterminante pour l’économie mondiale. Les États-Unis ne cherchent pas une victoire militaire dans le Kivu ; ils cherchent à éviter une défaite stratégique face à Pékin dans la course aux métaux de l’avenir.
Uvira n’est qu’une pièce sur l’échiquier. Mais l’échiquier, lui, est global.
la diplomatie américaine, le rôle de groupes armés comme l’AFC-M23, les intérêts des multinationales, la rivalité USA–Chine et le corridor de Lobito en RDC: Les USA utilisent-ils une « diplomatie de la canonnière » ?
La diplomatie de la canonnière (gunboat diplomacy) renvoie à l’usage de la puissance, y compris militaire ou économique, pour imposer sa volonté.
Le corridor de Lobito est un projet d’infrastructure destiné à relier le centre minier de la RDC aux ports atlantiques via l’Angola, facilitant l’exportation vers l’Europe et les États-Unis — afin de diversifier les routes commerciales dominées par les ports de l’océan Indien (via la Chine).
Les États-Unis et l’UE soutiennent ce projet comme un moyen de renforcer les chaînes d’approvisionnement en minerais stratégiques.
La République démocratique du Congo doit adopter une posture stratégique cohérente face aux profondes recompositions géo-économiques régionales et internationales. À cet égard, le corridor de Lobito constitue un projet d’infrastructure majeur : il relie le cœur minier de la RDC aux ports atlantiques via l’Angola, ouvrant un accès direct vers l’Europe et les États-Unis. Cette alternative réduit la dépendance historique aux corridors orientaux, largement dominés par les dynamiques commerciales de l’océan Indien et, surtout, par l’influence économique de la Chine.
Pour Washington et Bruxelles, cet axe logistique représente bien plus qu’une simple route de transport : il s’agit d’un outil géopolitique destiné à sécuriser des chaînes d’approvisionnement en minerais stratégiques — cobalt, cuivre et autres éléments critiques — indispensables à leurs industries de pointe et à la transition énergétique. En soutenant le corridor de Lobito, ces puissances entendent rééquilibrer la compétition mondiale, réduire leur vulnérabilité géo-économique et s’implanter durablement dans la région.
Dans ce contexte, la RDC doit jouer pleinement son rôle de puissance stratégique au cœur de l’Afrique. Cela implique de défendre fermement ses intérêts, de renforcer sa capacité à négocier avec les partenaires internationaux, et surtout de consolider l’État sur ses fondements essentiels :
sécurité nationale,
souveraineté territoriale,
indépendance politique et économique,
maîtrise de ses ressources stratégiques.
Face aux rivalités de puissances et aux nouvelles formes de compétition mondiale, la RDC ne peut se permettre d’apparaître comme un simple espace d’extraction ou de transit. Elle doit se recentrer autour de ses forces de sécurité et de ses institutions afin de préserver son intégrité territoriale et d’affirmer son statut d’acteur souverain. L’époque où les logiques impérialistes dictaient le destin des nations africaines doit appartenir au passé ; l’heure est venue pour la RDC d’occuper, par stratégie et par volonté, la place de droit qui lui revient dans le concert des nations.
PRINCE KINANA SILUMBANZA
Président du MND
La relève pour la renaissance congolaise [RNC]


